L’ARRET CCJA N°145/2020 DU 30 AVRIL 2020

En date du 30 avril 2020, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a rendu un arrêt portant sur les conditions de validité d’un appel interjeté dans les formes du droit national et délai de l’AUPRSVE pour appuyer le formalisme légendaire du cautionnement, en annulant sur le fondement de l’article 29 de l’AUS l’engagement de la caution;

Dans l’espèce jugée, la Société A., société de droit tchadien, a bénéficié dans le cadre de ses vieilles relations avec une Banque B., d’une Convention de compte courant signée le 03 décembre 2013 décomposée en :

  •        Crédit de campagne d’un montant de deux milliards (2.000.000.000) de francs CFA ;

  •        Découvert d’un montant de cinq cent millions (500.000.000) de francs CFA ; soit au total deux milliards cinq cent millions auxquels se sont ajoutés environ trois cent trente et un million quatre cent vingt-huit mille trois cent soixante-quatre (331.428.364) FCFA d’intérêts et frais accessoires dans un appel à caution adressé le 04 mai 2016 au gérant de la Société A SARL, qui s’était constitué caution solidaire et personnelle à hauteur des engagements pris dans la Convention, «  en principale seulement hors intérêts, frais et taxes ».

En raison des difficultés de trésorerie au sein de la Société A. SARL, le Gérant, a été appelé en règlement de ladite créance alors que la date de remboursement du prêt expirait le 30 octobre 2014 et celui du découvert, sensiblement à la même date.

Après des échanges infructueux et face à l’insolvabilité de la caution solidaire et personnelle, la Banque décida d’introduire une requête aux fins d’injonction de payer devant le Tribunal de Commerce de N’Djamena.

Par ordonnance N°028/2016 du 27 juin 2016, le Tribunal de Commerce de N’Djamena enjoignait à la Société A. SARL et à sa caution  de payer solidairement à la Société B. la somme de 3.771.639.721 FCFA.

Un Jugement N°51/2018 rendu le 18 avril 2018 par le même Tribunal de commerce de N’Djamena déclare mal fondée l’opposition formée par sieur A. et la Société A SARL contre cette Ordonnance.

Sur appel interjeté par sieur A. et la Société A. SARL dudit Jugement, la Chambre Commerciale de la Cour d’appel déclare les appelants forclos en raison de l’absence d’appel contre le jugement du 18 avril 2018, par Arrêt du 28 mars 2019 en relevant que l’erreur sur la date du jugement affectait indiscutablement, la recevabilité de l’appel ; Forclusion et irrecevabilité furent retenues pour trancher rien que sur la forme ;

Pour la Société A. SARL et la caution solidaire et personnelle, c’est à tort qu’elles ont été condamnées solidairement au paiement de toutes les sommes dues par le débiteur en principal, intérêts et frais divers alors d’une part, que la banque a déterminée seule et fixé unilatéralement les intérêts bancaires mis à la charge du débiteur principal ; et d’autre part que la caution ne s’est engagée que pour le montant principal uniquement, hors intérêts, frais et taxes, ce qui ne plaçait pas l’une et l’autre dans les mêmes obligations.

En confondant le montant de la dette réclamée au débiteur avec celui résultant de l’engagement de la caution, la banque ne justifiait pas du caractère certain de sa créance, condition sine qua non relevant de l’article 1er de l’AUPSRVE pour conduire à la délivrance d’une ordonnance d’injonction de payer ;

 Aussi, pour la caution, l’engagement de se substituer au débiteur principal ne remplissait pas les conditions des articles 14, 24 et 25 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. 

Pour la Banque, la Cour d’appel n’a pas besoin d’examiner l’affaire au fond par ce qu’il y a eu violation des dispositions de l’article 199 du Code de procédure civile tchadien, car l’acte d’appel versé au dossier indique un recours dirigé contre un jugement en date du 12 avril 2018 alors que la décision querellée était prononcée le 18 avril 2018.

Elle soutient subsidiairement que condamner ensemble la Société A SARL et sa caution est conforme aux articles 13, 15 et 26 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés qui exigent que la caution soit informée de la défaillance du débiteur principal, ce dernier devant être appelé en cause en même temps. Puis que les exigences de l’article 14 évoquées par la Société A SARL et sa caution ne sont valables que pour les besoins de la preuve et ne sauraient être interprétées comme prescrites sous peines de nullité.

Dans cet arrêt, la Cour a répondu à deux questions essentielles de droit :

  •        Une erreur matérielle constatée dans l’acte d’appel ne renseignant pas de la date du prononcé de la décision entreprise, constatée et corrigée par un acte d’huissier versé au dossier peut-elle remettre en cause l’existence d’un appel ?

  •        Le défaut par la caution d’indiquer la limite de l’engagement maximal garanti en chiffres et en lettres, rend-t-il nul cet engagement dans le cas d’un cautionnement général du solde débiteur d’un compte courant, à la lumière de l’article 19 de l’AUS ?

A la première question, en se fondant sur les dispositions des articles 199 du Code de procédure civile tchadien et 15 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la Cour a répondu par la négative en affirmant qu’une telle erreur ne saurait remettre en cause l’existence d’un appel. Encore que cette erreur a été constatée et rectifiée par acte d’huissier.

A la seconde question, la Cour a également affirmé que les premiers juges n’ont pas fait une bonne application de la loi en ce sens que l’engagement de la caution ne remplit pas les conditions exigées par l’article 19 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés.

Pourtant à la lecture de cet arrêt de la CCJA, il n’a pas été facile de dégager la réponse au sujet principal mais délicat du formalisme encadrant la validité de l’engagement d’une caution, lorsque cet engagement porte sur le solde débiteur d’un compte courant(II), alors que sans hésitation, il a été rappelé les conditions de validité de l’appel interjeté dans les formes du droit national, dans le délai de l’AUPRSVE (I).

I-                 Les conditions combinées (du droit national de procédure et de l’AUPRSVE) de validité de l’appel

L’appel est une voie de recours contre les jugements des juridictions du premier degré tendant à les faire réformer ou annuler par le juge d’appel. Il existe cependant des conditions dans lesquelles l’appel est formé et reçu par les juridictions du second degré. Ces conditions sont définies et déterminées selon l’ordre judiciaire de chaque Etat.

Aux termes des dispositions de l’article 199 du Code de procédure civile tchadien : « l’appel est formé par déclaration écrite ou verbale reçue et enregistrée au greffe de la juridiction qui a statué.

L’acte d’appel indique le nom et le domicile de l’appelant, la date et la décision entreprise, le nom et l’adresse de la partie ou des parties alors intimées, l’exposé sommaire des moyens d’appel, éventuellement, l’intention exprimée d’être jugé sur pièces. Le greffier délivre récépissé de la déclaration ».

Pour interjeter appel du jugement reconduisant les termes de l’injonction de payer, la Société A, ainsi que la caution adressent au greffe du Tribunal de Commerce une lettre déclarant leur intention de soumettre l’examen de la cause au juge du second degré ; cette lettre a bien désigné les parties en présence, ainsi que la juridiction ayant statué, mais a omis de mentionner la date exacte du jugement ;

Dans son acte de procédure (acte d’appel), le greffe conservera la date erronée du jugement, ce qui fera dire à la Banque que les débats de fond ne sont plus nécessaires en raison de l’irrecevabilité de l’appel ;

La cour de N’Djamena considère, à son tour qu’une erreur matérielle sur la date du prononcé du jugement ne peut être banale et conclut à son irrecevabilité sans toucher au fond.

Une posture qu’a été rejetée la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage qui justifie : «   … que, dès lors, la simple erreur matérielle dans l’acte d’appel, sur la date du prononcé de la décision entreprise, par ailleurs constatée et corrigée par un acte d’huissier versé au dossier, ne peut être considérée comme décisive et remettant en cause l’existence d’un appel contre une décision ».

Elle règle la  question de l’existence ou non de l’appel avant d’apprécier la question de sa recevabilité au regard de l’article 15 de l’AUPRSVE ;

L’article 15 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution dispose que :

« La décision rendue sur opposition est susceptible d’appel dans les conditions du droit national de chaque Etat partie. Toutefois, le délai d’appel est de trente jours à compter de la date de cette décision ».

Or, il s’est passé moins de trente jours entre le prononcé du jugement et l’introduction de l’appel.

Cet arrêt de la CCJA souligne la parfaite cohérence entre les conditions de recevabilité des recours dans les conditions du droit interne et les règles de recevabilité du droit communautaire ; Elle (la CCJA) s’est donné compétence pour interpréter les règles de procédure internes en indiquant que la correction des erreurs matérielles des actes d’appel ne peut se faire qu’au greffe, et jugeant que le constat et la rectification faits par voie d’huissier doivent être tenus pour sincères ;

Cette décision de la CCJA vient confirmer la complémentarité des conditions de recevabilité de l’appel en droit interne et en droit communautaire OHADA : à partir du moment où la forme de l’appel a été présentée dans les conditions du droit interne, sa recevabilité au sens de l’article 15 l’AUPRSVE ne peut faire défaut s’il présenté dans le délai de 30 jours prescrit. 

La CCJA, partie de cette question de forme a fait briser le silence de la Cour d’appel sur le débat de fond, relatif à la validité du cautionnement ici, mise en cause ;

II-             Le cautionnement valable au sens de l’article 19 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés

Au sens de l’article 13 de l’Acte uniforme portant organisation des Suretés, « le cautionnement est un contrat par lequel la caution s’engage, envers le créancier qui accepte, à exécuter une obligation présente ou future contractée par le débiteur, si celui-ci n’y satisfait pas lui-même.

Cet engagement peut être contracté sans ordre du débiteur ».

L’article 14 du même Acte uniforme précise encore que « le cautionnement ne se présume pas, quelle que soit la nature de l’obligation garantie. Il se prouve par un acte comportant la signature de la caution et du créancier ainsi que la mention ainsi que la mention, écrite de la main de la caution, en toutes lettres et en chiffres, de la somme maximale garantie couvrant le principal, les intérêts et autres accessoires. En cas de différence, le cautionnement vaut pour la somme exprimée en lettres. ».

En infirmant et annulant en toutes leurs dispositions des décisions des juridictions étatiques tchadiennes, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage OHADA a estimé qu’une bonne application de la loi n’a pas été faite. Lorsqu’il s’agit d’un cautionnement général du solde débiteur d’un compte courant qui rentre dans les cas prévus à l’article 19 de l’Acte uniforme, l’omission du montant maximal garanti, ni en chiffres ni en lettres, excluant les intérêts et accessoires rend nul l’engagement de la caution.

Dans l’arrêt CCJA, ass.plén. , n°77, 25-4-2014 : Sté de Patrimoine des Eaux du Niger (SPEN) c/Banque Atlantique du Niger dite BAN, Ohata J-15-168, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage OHADA avait estimé qu’en annulant l’acte qui n’avait pas été signé par la bénéficiaire et ne comportait pas la mention manuscrite de la somme maximale garantie en chiffres et en lettres, la Cour d’appel n’a pas violé les articles 13, 14 et 26 de l’Acte uniforme. Dans le même principe, le cautionnement n’est pas valable, lorsqu’il ne comporte ni la signature du bénéficiaire ni la mention écrite de la main de la somme maximale garantie (CCJA, n°18/2003, 19-10-2003 : Sté AFRO-COM c/CSSPPA, Le Juris-Ohada, n°4/2003, p.10, note BROU Kouakou Mathurin.- Rec.jur.Ohada, n°2, juil.-déc. 2003, p. 30, Ohadata J-04-119).

Les règles relatives au contrat de cautionnement étant bien définies par l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, il convient aux parties au contrat et aux juges de faire une bonne application des textes, afin d’éviter certaines contrariétés.

 

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